MESURES URGENTES POUR LUTTER CONTRE LA PAUVRETE

Publié le par Ballon Rouge

Lorsque l’on évoque la lutte contre la pauvreté, on a souvent droit à 2 types de réactions :

La première purement monétaire = combien d’argent faudrait-il « dépenser » pour améliorer la situation des plus pauvres, et dans sa version caricaturale : l’état du déficit ne permet plus de développer l’assistanat.

La seconde, version incantatoire, renvoie la lutte contre la pauvreté aux lendemains meilleurs : quand le capitalisme disparaitra, la pauvreté n’existera plus. OK, bien sûr, mais en attendant, face à l’urgence de la situation, n’y-a-t-il pas des mesures urgentes à prendre ?

 

     TOUTES LES MESURES NE SONT PAS « HORS DE PRIX »

1-      Faire appliquer les mesures existantes :

Avant même de prendre de nouvelles mesures, la première des urgences consiste à faire appliquer celles qui existent. Il y a en France, un arsenal législatif important qui entre dans la cadre des luttes contre la pauvreté, mais l’écart est important entre les textes et leurs applications concrètes sur le terrain. Le non recours aux prestations et aides sous conditions de ressources, telles que RSA, CMU, Aide au logement, tarifs sociaux d’énergie, aide à la mutuelle… est très important.

Pour le seul exemple du RSA, dans une étude réalisée pour la CNAF fin 2010, Pauline Domingo, met en évidence une proportion impressionnante de non recours au droit que constitue, pour toutes les personnes aux revenus inférieurs à un certain montant, le RSA “Fin 2010, plus d’un tiers des éligibles au revenu de solidarité active (Rsa) socle seul et au Rsa socle et activité ne recouraient pas à la prestation. De même, plus des deux tiers des éligibles au Rsa activité seul étaient en situation de non-recours.”

Les raisons invoquées sont diverses : position de principe pour éviter la stigmatisation, ignorance, complexité des procédures, fonctionnement des CAF : Les antennes des CAF sont au bord de l’implosion et les fermetures conjoncturelles inopinées ou programmées se multiplient. Il s’agit de fermetures pendant les périodes de vacances scolaires faute de personnel pour remplacer les agents en congés ou de fermetures impromptues pour résorber un engorgement. (La CAF à Marseille vient de  fermer 15 jours). Par ailleurs un travailleur social de la CAF passe deux fois plus de temps aux tâches administratives qu’avec le public…

Il y a là plusieurs constats pour lesquels une action politique est possible à moindre coût.

Tout d’abord, inverser le processus : Le prestataire identifie les bénéficiaires potentiels et il offre la prestation. Sont ensuite effectués les contrôles et les radiations éventuelles. L’assistance aux plus démunis est un investissement pour leur permettre de continuer à vivre au sein de la collectivité, à assumer leurs devoirs de conjoints, parents, salariés…

L’exemple porte sur le RSA, mais pourrait s’étendre à un certains nombre d’autres prestations, y compris des services comme par exemple le droit à l’ouverture d’un compte bancaire sans tracasseries.

Dans le même domaine, le dévoiement de la carte vitale est caractéristique. Elle devait au départ permettre aux malades de ne plus faire l’avance. Le médecin se faisait ensuite rembourser par la sécu. Or, le système a été inversé, le malade paye et obtient le remboursement.

2-      Raccorder aux mesures existantes les bonnes cibles :

L’urgence de la situation impose aujourd’hui de cibler prioritairement les publics les plus en difficulté. Là aussi, quelques exemples :

Le transport, de nombreuses communes ont mis en place des tarifs réduits ou gratuits pour les plus de 65 ans. Quel intérêt, si leurs revenus ne le nécessitent pas.

Les prestations familiales : redistribuer aux plus pauvres parents d’un seul enfant les allocations versées aux parents de 3 enfants et plus dont les revenus sont suffisants.

Le logement : Un couple avec 2 enfants et 4000 € de revenus peut prétendre en province à un logement social de type PLS (logement peu social mais compté par les communes dans leurs obligations), ce qui rend 78% des ménages éligibles. Ridicule, il ne s’agit plus là du traitement des priorités et l’engorgement est tel au niveau du traitement des demandes qu’il n’y a plus aucune lisibilité, voire même une opacité voulue.

La formation : Les entreprises, l’état, les collectivités territoriales répondent à leurs obligations en termes de formation professionnelle. Mais là encore, la cible n’est pas forcément la bonne.

 Le développement de la formation professionnelle continue, selon une loi qui date de 1971, s'est traduit par la multiplication de formations courtes pour les personnes occupant déjà des fonctions d'encadrement ou des emplois relativement qualifiés. Ce ne sont pourtant pas celles qui arrivent massivement sur le marché de l’emploi. On reproche souvent aux chômeurs de longue durée leur inadaptabilité à de nouveaux postes ou de nouvelles formations, mais quand ils sont encore en emploi, on ne leur offre pas la possibilité d’élargir leur champ d’apprentissage.

 

Voilà donc quelques éléments de réflexion pour comprendre que la lutte contre la pauvreté, même en période de rigueur, peut devenir opérationnelle si la volonté politique la porte. Les pistes ont été à peine survolées et les acteurs concernés, si on daignait au moins les consulter apporteraient sûrement de nombreux autres axes d’amélioration de leurs conditions de vie au quotidien. A condition de leur rendre le respect qui leur est du et d’inverser dans les discours politiques, les rôles de coupables et de victimes. Les états successifs ont failli et n’ont pas su réduire la pauvreté. Leurs représentants élus ou hauts fonctionnaires sont responsables, les pauvres et les chômeurs sont leurs victimes. Les prestations de redistribution sont des corrections apportées à ces dysfonctionnements. Leurs bénéficiaires reçoivent au lieu du pain qui leur est du, une vague biscotte de compensation. Dans le jeu de distribution économique, ils sont lésés et méritent une solidarité. Au lieu de solidarité, les discours politiques soucieux de dédouaner leurs leaders de toute culpabilité, les accablent de suspicion. Et le comble, c’est que ce discours trouve terreau dans les classes les plus atteintes, créant une hiérarchie chez les pauvres et les exclus, et brisant la solidarité de classe pour construire des oppositions salariés/chômeurs, chômeurs/RSA, Immigrés/roms… C’est triste et honteux !

 

B - LES MESURES QUI ONT UN COÛT

Quand la volonté politique existera vraiment, on pourra aussi mettre en œuvre des arbitrages budgétaires en faveur des plus démunis. Mais là aussi, certains mythes sont à détruire.

Les budgets publics sont opaques pour l’opinion publique. Leur unité est abstraite,  personne n’est habitué à compter en millions ou milliards d’euros. Ils sont découpés en tranches horizontales et verticales (secteur ministériel, territoire géographique). Il est donc souvent difficile de mesurer les enjeux, les coûts, les impacts budgétaires de telle ou telle décision politique. La vulgarisation médiatique n’est pas suffisante et le recours systématique à des « experts » contribue volontairement à opacifier l’information. Résultat : faute d’appréhender la faisabilité de certaines demandes, on se censure dans un climat global de fatalisme savamment entretenu. Pourtant dès que l’on y regarde d’un peu plus près, on voit vite que même si certaines exigences sociales ont un coût, il est souvent dérisoire ou facilement compensé.

Le budget global de l’ensemble des prestations sociales s’élevait en 2010 à 620 milliards d’euros (état, collectivités territoriales, organismes divers). Sur ces 620 Mi, 14.8 sont consacrés à la lutte contre l’exclusion et la pauvreté.

 pauvreté

 

Le coût des accidents de travail  et des invalidités est de 42 Mi. Une politique offensive accompagnée d’un arsenal contraignant auprès des employeurs pourrait permettre de réduire ces coûts. Si l’on gagnait 5% sur ce poste, on pourrait à coût égal augmenter les minima sociaux de 20%.

Par ailleurs, les multiples exonérations pour réduire le coût du travail ont été accordées aux employeurs sans jamais exiger de contrepartie. Il y a là un autre levier d’action qui ne couterait rien à l’état. Une entreprise pourrait bénéficier de toutes les exonérations prévues par la loi SI ET SEULEMENT SI elle fait la preuve qu’elle a mis en œuvre une politique d’aide au logement, à la garde d’enfants, au développement culturel, destinée prioritairement aux plus démunis de ses salariés.

Là encore, ce ne sont que des exemples. Et une analyse plus approfondie des dépenses d’aide sociale permettraient sûrement de procéder à d’autres arbitrages en priorisant l’accès aux plus pauvres.

 

Je n’aborde pas ici les arbitrages possibles au niveau du budget de l’état, mais juste à titre de comparaison, il faut savoir que le budget de la défense représente 30 milliards pour l’état. La fraude fiscale quant à elle est estimée à 80 milliards. Les sommes sont énormes et on conceptualise difficilement. Mais un simple petit milliard récupéré, c’est 27000 fois le coût annuel d’un enseignant du primaire. (un enseignant coûte 37000 €, un juge à la cour des compte coûte 116000€). Un milliard de fraude fiscale en moins c’est un effectif supplémentaire de 27000 instituteurs. Voilà, juste pour illustrer qu’il s’agit de choix politiques et non de contraintes budgétaires.

A partir de là, on peut se permettre plus d’exigences dans le domaine social.

 

C – LISTE NON EXHAUSTIVE DES MESURES URGENTES

(L’essentiel des mesures ci-dessous figurent dans le document de l’UNIOPS)

Ø  Créer un revenu d’insertion pour les jeunes de moins de 25 ans qui n’ont jamais travaillé, et ouvrir pleinement le droit au RSA activité aux jeunes qui travaillent

Le RSA activité ne bénéficie actuellement qu’à un nombre infime de jeunes (moins de 10 000) en raison de la condition de travail de deux ans dans les trois dernières années qui lui est associée.

Ø  Revaloriser le RSA socle et indexer les minima sociaux sur l’évolution du SMIC horaire

Ø  Permettre l’extension de la durée des contrats aidés au-delà de 2 ans lorsque cela s’avère nécessaire

Ø  Améliorer le fonctionnement du service public de l’emploi : effectifs, outils mis à disposition

Ø  Garantir un droit, égal pour tous, à la formation, à l’accompagnement et au tutorat.

Réorienter la dépense publique en matière de formation, en la concentrant sur des programmes de formation longs, ciblés pour les demandeurs d’emploi et les salariés ayant un faible niveau de formation.

Ø  Mettre en place une politique de logement

Evaluation permanente, à la fois quantitative et qualitative, des besoins en logement à tous les niveaux territoriaux,

Application de l’article 55 de la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbains) avec possibilité pour l’état de se substituer aux collectivités locales qui ne respectent pas leurs obligations de résultat en matière de construction de logements très sociaux et de création de places d’hébergement.
Imposer aux constructeurs des normes exigeantes d’isolation thermiques.

Ø  Favoriser l’accès aux soins
Relever le plafond de ressources de la CMU complémentaire au niveau du seuil de pauvreté.

Lutter contre les refus de soins en les mesurant et en les sanctionnant.

Lutter contre les déserts médicaux par des mesures incitatives.

Limiter les dépassements tarifaires.

Faire connaître aux praticiens libéraux et aux patients le tiers payant social (dispense d’avance des frais) acté dans la convention médicale de 2011, et le faire appliquer, à la demande du patient et pas seulement à l’appréciation du praticien.

Développer et pérenniser les PASS, les PASS périnatalité, les PASS pédiatriques et les équipes mobiles.

Proposer des vaccinations à proximité des lieux de vie des plus précaires.

Ø  Mettre en place une politique culturelle et de loisirs accessibles

Soutenir l’aide au départ et l’accompagnement en vacances des publics en situation de précarité.

Promouvoir les démarches issues de l’éducation populaire comme vecteur d’insertion sociale pour les publics exclus

 

J’ai sûrement oublié plein de choses tout simplement parce que je ne suis pas personnellement concernée. En conclusion, je voudrais insister sur la première des urgences : respecter, écouter et construire les politiques d’assistance en y associant systématiquement les personnes concernées. Etre pauvre, ce n’est ni être fainéant, ni être idiot.

Christine Vandrame – 15 mars 2013

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