Compte rendu du 5 avril 2013 : Crise de la zone euro première partie

Publié le par Ballon Rouge

BR-accords-chypre.jpgCrise de l’euro, l’Europe en crise

 

 

Qu’est-ce que l’Europe ? C’est d’abord une réalité géographique, historique, c’est aussi une référence à une culture humaniste. Cela renvoie également à la construction d’une nouvelle entité politique, l’Union européenne. S’opposer à ce qui est mis en place, d’un point de vue politique, social, économique et écologique, ne signifie aucunement être « contre l’Europe ».

La crise est passée par là et les apôtres du néolibéralisme en tirent une leçon surprenante : c’est parce qu’il n’y avait pas encore suffisamment de libéralisme que la crise est survenue ! L’Europe, obéissante et appliquée s’est remise au travail pour accélérer la récession et plonger les pays les plus fragiles dans la dépression.

La situation insupportable dans les pays du sud de l’UE et les contradictions internes à la zone euro aggravent les divergences qui préexistaient. Il n’apparaît pas, malheureusement de politique de rechange pour une refondation de l’Europe.

 

Tour d’horizon de l’Union européenne

 

Les rôles de ceux qui dirigent l’Union européenne sont officiellement définis comme suit :

« Le Conseil européen (présidé par Herman Van Rompuy) définit les orientations et les priorités politiques de l’Union européenne. » Il faut savoir que les réunions du Conseil sont strictement tenues à huis-clos et qu’aucun procès-verbal n’est établi. Ce qu’on peut en connaître n’est que ce que chaque participant veut bien en dire dans une conférence de presse.

« La Commission européenne représente les intérêts de l’Union européenne dans son ensemble. Elle propose de nouvelles législations au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne, et veille à ce que la législation de l'UE soit correctement appliquée par les États membres. »

« Le Parlement européen partage le pouvoir législatif avec le Conseil de l’Union européenne. » Le Conseil européen composé par les 27 chefs d’État est prépondérant. Il est donc urgent de comprendre que les orientations de l’UE viennent d’abord des chefs d’État, même lorsque ceux-ci font porter sur l’Union la responsabilité d’une politique impopulaire.

 

La concurrence, la concurrence toujours

 

Ce qui caractérise fondamentalement l’UE, c’est la sanctification de la concurrence. Depuis le Traité de Rome, la concurrence est présente dans tous les textes, « libre et non-faussée » depuis l’Acte unique de 1986.

Le deuxième trait, face à la mondialisation, c’est l’affirmation que la compétitivité est le moteur de l’Histoire. L’agenda de Lisbonne, en 2000, entend faire de l’Union « la zone la plus compétitive du monde ».

Et, pour actionner cette compétitivité dans une totale concurrence, le néolibéralisme s’est doté d’un outil d’une modernité soi-disant indépassable, le libre-échange. Autrement dit, le développement par le commerce. Hors, le commerce international croît quatre ou cinq fois plus vite que la production mondiale. Cela signifie que les entreprises transnationales réalisent entre leurs filiales une part énorme de ce commerce afin de trouver les coûts les plus faibles de production, de jouer sur les taux de change et d’échapper au mieux à la taxation de leurs profits.

Rien d’étonnant à tout cela : l’Union européenne, dès ses premiers vagissements avait pour marraines la Table Ronde des industriels initiée par la Commission (European Round Table of Industralists – ERT, en anglais) et l’UNICE qui a rejoint en 2007 BusinessEurope, équivalent du Medef au niveau européen, dirigé de 2005 à 2009 par Ernest-Antoine Seillière et depuis 2009 par Jürgen Thumann. C’est d’ailleurs avec l’ERT (1 300 Mds de chiffre d’affaire et 6,8 M d’employés) que Merkel, Hollande et Barroso ont pris part au banquet du 18 mars 2013 à Berlin. Il s’agissait de préparer d’ici juin une « feuille de route », qui portera sur la mobilité du marché du travail et la compétitivité.

Dans le cadre des négociations à l’OMC, la politique commerciale de l’UE, impulsée par les entreprises transnationales, laisse, bien entendu, le champ libre à la concurrence en libéralisant 120 secteurs d’activités de services sur les 163 existants. Ces 163 services représentent les deux tiers de l’activité de l’Union. Un « mode 4 » de l’Accord général du commerce des services (AGCS), prévoit la possibilité qu’un contrat de travail correspondant à un service transfrontière puisse être passé sans conditions entre une entreprise d’un pays avec une autre entreprise d’un autre pays. Enfin, les Accords de Partenariats Economiques entre l’UE et les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique vont plus loin encore que ceux de l’OMC : ces pays sont sommés de supprimer toute entrave pour 80 à 90% de leurs échanges avec l’UE.

Tous ces accords mettent en concurrence les salaires et les protections sociales des employés européens entre eux et avec ceux du reste du monde.

Pour que la fête soit complète pour les investisseurs, la Banque centrale européenne (BCE), « indépendante », n’a pas le droit de refinancer les États, qui eux-mêmes ne peuvent pas en aider un autre ! Les États se trouvent de ce fait sous la tutelle des marchés financiers et la libre concurrence s’inscrit entre les États de l’Union puisque la solidarité entre eux est interdite. Concrètement, la BCE se cantonne à maintenir l’inflation en-dessous de 2% avec un euro fort et à garantir au mieux le respect des critères de Maastricht : principalement une dette publique inférieure à 60% du PIB et un déficit public inférieur à 3%. On en est loin et ce n’est pas fini.

 

Une attaque généralisée contre les services publics

 

Le principe fondamental qu’est la concurrence porte naturellement un regard totalement désapprobateur sur les services publics. L’UE a donc décidé que ces services devaient respecter à leur tour les règles de la concurrence. En fait, dérogatoires à la règle, ils sont voués à disparaître. Ainsi, « les tarifs doivent tendre vers les coûts » dit la Commission qui précise que « dans bien des cas le marché (est) le meilleur mécanisme pour fournir ces services [d’intérêt économique général] ».

Dans un rapport de janvier 2001 sur l’éducation, où elle n’a aucune compétence, la Commission indique que l’enseignement doit préparer les futurs salariés à « l’introduction de régimes de travail flexibles » en appliquant des « politiques qui introduisent la compétition, le libre choix et les forces du marché dans le système scolaire ». De même, par le processus de Bologne, l’université est devenue autonome et cherche des financements privés. Ainsi, les « pôles d’excellence » voient des secteurs fortement financés et d’autre dépérir.

« « Modèle social européen »…je ne comprends pas bien le sens de cette expression » disait Frits Bolkestein sur France Inter, le 6 avril 2005. Sa directive fut pour quelque chose dans le NON au Traité constitutionnel européen (TCE). Rejetée à ce moment-là, la directive est revenue en douce. La Cour de justice européenne, appliquant le droit de la concurrence européen au détriment du droit du travail national, a rendu des jugements qui donnent raison aux employeurs et tort aux organisations syndicales tentant de forcer les entreprises à respecter les conventions collectives. De plus, la transposition de la directive services, ex-Bolkestein, si elle supprime le principe du pays d’origine, celui de la « libre prestation de service » demeure. Cela signifie l’unification des conditions de prestation de services en les dérégulant au nom de la concurrence. Cela touche l’ensemble des « services d’intérêt économique général », les services aux entreprises et aux personnes.

Les services de santé et les services sociaux auraient pu se trouver, en France, provisoirement à l’abri de cette directive si le gouvernement n’avait pas rejeté le projet de loi qui s’y employait (déposé par Jean-Patrick Gille et rejeté le 26-01-2010).

 

c) Dumping social et fiscal

 

Le livre vert sur la modernisation du droit du travail encourage « l’employabilité » des travailleurs en promouvant la « flexisécurité » contre le CDI et en restreignant les droits des chômeurs.

La fameuse Charte des droits fondamentaux reconnaît « le droit de travailler », non « le droit au travail », le droit de grève appartient au salarié « et » à l’employeur, etc. En aucun cas, elle fait contrepoids à la primauté de la concurrence, d’où la réduction des salaires, des droits sociaux et du droit du travail.

L’UE intervient sur la fiscalité indirecte (TVA et autres taxes), mais pas sur la fiscalité directe qui relève des États, ce qui encourage le dumping fiscal en faveur des entreprises. La Bulgarie et Chypre sont au plus bas à 10%, l’Irlande suit à 12,5%, puis la Lettonie et la Lituanie à 15%, la Roumanie à 16%, la Pologne et la Slovaquie à 19%, la République tchèque et l’Estonie à 21% : des taux d’imposition en dessous de la moyenne de l’UE. L’Allemagne a baissé ses taux pour s’aligner sur ceux de la République tchèque qui accueillait des entreprises allemandes. De fait, l’harmonisation fiscale est impossible car elle exige l’unanimité des États membres.

Il résulte de cet état de fait que les États subissent la concurrence de leurs voisins et que leurs recettes sont contraintes. En conséquence, le financement des services publics en souffre et le poids de l’impôt repose principalement sur les petites et moyennes entreprises les moins mobiles et les citoyens. Les transnationales, elles, se positionnent dans les États où la fiscalité est la plus attractive.

La City de Londres, l’Irlande, le Luxembourg, Chypre, les îles anglo-normandes, Malte, les Pays-Bas, sont des paradis fiscaux faisant partie de l’UE et pour certains de la zone euro. Comme si cela ne suffisait pas, il existe d’autres paradis implantés en Europe comme la Suisse, Andorre et Monaco. Ces paradis, comme ceux en dehors de ce cercle géographique, apportent des opportunités supplémentaires aux exonérations et niches fiscales multiples qui sont déjà offertes par les États !

 

La PAC et la politique écologique

 

Réorienter la PAC, politique coordonnée emblématique, vers une meilleure répartition des revenus, une agriculture respectueuse de l’environnement, promouvant les circuits courts n’est absolument pas dans l’axe de réflexion de l’UE.

La PAC représente 40% du budget européen. Fondée en 1962, elle voulait assurer l’autosuffisance alimentaire en Europe. La production, excédentaire, a depuis aligné ses prix sur celui du marché mondial. En fait, les aides vont massivement aux plus grandes exploitations, principalement aux exploitations céréalières. Afin de ne pas froisser les règles de l’OMC, qui interdit les aides à la production et à l’exportation, la PAC a « découplé » les aides qui vont maintenant à l’agriculteur, qu’il produise ou pas ! Les aides, qui devaient s’arrêter en 2013 selon l’accord conclu à Hong-Kong en 2005, ont été renouvelées, en baisse de 7%, dans le budget européen négocié en février 2013 afin d’éviter une paupérisation absolue aux petits paysans et éviter une désertification accrue des campagnes. En attendant, la PAC profite surtout aux productions intensives liées au marché mondial et à la spéculation.

L’Europe n’est guère plus exemplaire que les autres sur la question écologique. En décembre 2009, à la conférence de Copenhague sur le climat, l’UE n’a pas été capable de s’opposer aux positions des USA et de la Chine et n’a rien fait pour un accord plus contraignant. Mais peut-il en être autrement en espérant régler ces problèmes par le marché ?

La directive REACH visant à contrôler la mise sur le marché des produits chimiques a été fortement édulcorée sous la pression des industriels du secteur ; la libéralisation des transports a entraîné un accroissement du fret routier ; la bourse des droits à polluer a non seulement permis des escroqueries à la TVA très juteuses, mais n’a pas réduit la pollution. En effet, un « mécanisme de développement propre » a été mis en place qui fait qu’une entreprise qui opère des déforestations dans un pays du sud pour planter des cannes à sucre destinées aux agro carburants reçoit des « Unités de réduction d’émissions certifiées » ou droits à polluer ailleurs !

Bref, très peu d’avancées dans un monde où le capitalisme domine et où la recherche du profit maximum ne respecte ni les hommes, ni l’environnement.

 

Une politique d’élargissement non maîtrisée

 

De six États en 1957, la Communauté économique européenne est passée à neuf en 1973, puis à dix en 1981, à douze en 1986 et à quinze en 1995. A la suite, en 2004, les anciennes « démocraties populaires », les Pays baltes, la Slovénie, Malte et Chypre sont entrés, à dix, constituant une Union à vingt-cinq. La Bulgarie et la Roumanie ont suivi en 2007. Des inégalités profondes traversent cet ensemble. Les aides de l’UE ne doivent pas dépasser 4% du PIB du pays aidé et le budget européen est extrêmement faible (moins de 1% du PIB). A comparer aux 60 Mds dépensés chaque année par l’Allemagne de l’Ouest pour intégrer l’Allemagne de l’Est dans les années 90. L’intégration des pays de l’est européen a profondément fragilisé leurs sociétés déjà déstabilisées par la thérapie de choc menée lors du passage de leur économie planifiée à l’économie de marché.

Les différences de coût horaire de la main d’œuvre en 2008 sont importantes (10 € au Portugal, 15 en Grèce, 33 en France comme en Allemagne, 36 en Belgique) ! La concurrence salariale se trouve donc d’abord à l’intérieur de d’Europe.

La souffrance sociale, qui s’approfondit avec l’austérité, fait le lit des mouvements d’extrême droite qui s’implantent dans tous les pays et en particulier dans ceux qui sont le plus en difficulté. Les revendications nationales et territoriales dans les pays, à l’est, alliées à une xénophobie croissante répondent au mal-être de ces sociétés.

 

Une absence de démocratie

 

Les chefs d’État, qui constituent le Conseil, sont prépondérants, orientent et lancent des propositions d’actes législatifs dont la transposition par les Parlement nationaux sera obligatoire. C’est un processus totalement contradictoire avec la règle de séparation des pouvoirs, mais c’est sans doute un détail.

La Commission nommée par les chefs d’État propose et exécute, sa responsabilité devant le Parlement est purement théorique.

Le directoire de la BCE, où les banquiers venant du privé se trouvent surreprésentés, est nommé par le Conseil et les juges de la Cour de justice. La BCE décide de la politique monétaire, de l’émission de monnaie et de la politique de change. Son indépendance par rapport aux élus, mais pas par rapport aux lobbies, la laisse de marbre face aux conséquences sociales de sa politique.

Le Parlement européen n’a pas l’initiative des lois, même si certains domaines entrent dans le champ de la procédure dite de « codécision ». Il n’a aucun pouvoir sur la fiscalité et sur les recettes de l’Union, mais a un droit de véto sur le budget, dont il vient d’user le 13 mars 2013.

La Cour de Justice des Communautés européennes, chargée de faire respecter l’application des traités, assure la primauté du droit européen sur le droit national. Par l’impartialité supposée de ses arrêts, la Cour a le pouvoir de prendre, sans débat public, des décisions fondamentalement politiques, ce qui est pour le moins regrettable.

L’ambiguïté entretenue par les gouvernants faisant porter la responsabilité des directives européennes sur Bruxelles, alors que ce sont eux-mêmes qui en sont à l’origine, et qui en portent la responsabilité, a volé en éclats lors des divers référendums concernant le Traité constitutionnel européen. La France et les Pays-Bas ont voté NON. L’Espagne a voté OUI, mais sur un ersatz* de référendum. Cela n’a pas empêché que le même traité soit ratifié sous le vocable de Traité de Lisbonne quelque temps après et qu’il soit entré en vigueur dès le 1er décembre 2009.

Pour autant, les décisions prises ne sortent pas de nulle part. Corporate Europe Observatory (CEO) 2*a publié en 2005, chez Agone, Europe Inc. - Comment les multinationales construisent l'Europe et l'économie mondiale. «  (Ce livre) racontait dans quelle mesure les structures actuelles de l'UE sont le fruit de pressions industrielles ; mais ce travail n'a rien perdu de son actualité avec entre 20 et 30.000 lobbyistes représentant aujourd'hui les seuls intérêts commerciaux à Bruxelles, une force de frappe que les autorités publiques et la société civile organisée (syndicats, associations...) ne parviennent en général pas à contrecarrer efficacement, la disproportion de moyens étant trop importante. » CEO, mai 2012.

Les lobbyistes accrédités fournissent donc des études appropriées à la Commission. Dans ces conditions, la Commission, censée défendre l’intérêt général, ne fait qu’arbitrer entre des intérêts particuliers.

L’Europe a été le berceau de la démocratie et de la liberté pour beaucoup de monde. Elle a bien du mal aujourd’hui à servir d’exemple. Frontex est l’agence des frontières européennes chargée de traquer les migrants clandestins. Le Parlement européen a voté la directive « du retour », dite « de la honte », qui prévoit un enfermement des étrangers pouvant atteindre dix-huit mois et l’éloignement des personnes vulnérables (malades, mineurs, etc.). L’Europe forteresse bafoue le droit de circulation et d’installation reconnu dans la déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948.

 

Voici le terme d’un réquisitoire, non exhaustif, de la construction et du fonctionnement de l’Union européenne. Celle-ci, et la zone euro plus particulièrement, se trouve depuis 2008 en grande difficulté à la suite de la crise financière et économique qui secoue le monde. Cette crise s’est transformée en crise sociale et politique. Comment l’UE a-t-elle réagi et quelles sont les conséquences de sa politique ?

 

Face à la crise mondiale, une politique de gribouille

 

La situation économique et sociale s’est profondément détériorée dans de nombreux pays. Le chômage s’est envolé (25 millions en Europe), les pauvres, plus nombreux, sont tombés pour beaucoup d’entre eux dans l’extrême pauvreté pendant que les classes moyennes voyaient leurs revenus stagner, sinon régresser. Dans le même temps, les classes supérieures ont continué à accumuler la richesse, creusant les inégalités de façon scandaleuse. Face à cette situation, les responsables européens se sont lancés dans une austérité qui approfondit les difficultés et la récession. Le désordre social sans perspective de progrès favorise la montée des nationalismes et des xénophobies sous la couleur d’une profonde remise en question de la légitimité de l’UE.

 

L’Europe en état de choc

 

L’expansion économique s’est arrêtée : la production, en 2012, est encore inférieure à celle de 2008. Les pays comme la Grèce et le Portugal se trouvent en récessions extrêmement profondes (-6,4% et -3,2% en 2012). La progression dans les pays de l’Est et celle très faible dans le centre de l’Europe n’empêche pas la zone euro d’être en récession dans son ensemble (-0,6% en 2012). Des prévisions pour 2013-2016 font les estimations suivantes : -3,5% dans la zone euro, entre -5 et -8% en Italie, au Portugal et en Espagne, et -10% en Grèce. Ces prévisions, si elles se révélaient justes, plongeraient la zone dans une misère inimaginable et insupportable avec des conséquences politiques imprévisibles.

Face à l’urgence, l’Union s’est hâtée lentement. La raison se trouve dans les divergences entre les pays qui s’en sortent le mieux et les autres, entre les pays qui ont une vision solidaire de l’Europe, d’un point de vue pragmatique, et ceux qui ont une vision rigoureuse de la concurrence comme l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas. Les interventions de l’UE pour aider les pays en difficulté, en principe interdites par les traités, ont été lentes, confuses et sans conception cohérente.

Jacques Delors, dans Le Monde du 7 décembre 2010 déclarait : « Reste que ce n'est pas aux banquiers qui ont reçu des États, comme prêts ou comme garanties, 4 589 milliards d'euros, de dicter aux gouvernements leur comportement. Entendre les conseillers des banques nous intimer l'ordre de réduire les déficits publics puis, lorsque cela est en bonne voie, s'alarmer de la panne de croissance qui pourrait en résulter est une double peine insupportable ! » Le montant cité par Delors est le seul qui soit globalisant, déjà ancien, que j’aie pu trouver : ce qui montre bien que si les données sont disponibles, la transparence est plutôt opaque. Le coup de sang de Delors ne changera rien face aux pressions puissantes des lobbies et aux dirigeants européens convertis de longue date au néolibéralisme.

Concrètement, la Grèce a reçu 110 Mds au taux de 5,8% en 2010, puis 165 Mds en 2012. Le 27 octobre 2011, les banques privées ont abandonné 50% de la dette qu’elles détenaient sur la Grèce et ont été recapitalisées à hauteur de 106 Mds. La Grèce a de nouveau obtenu une aide de 130 Mds le 21 février 2012, dont une partie sera versée en décembre. Enfin, 2,7 Mds d’aide sont en discussion d’ici la fin mars 2013 sous condition de relèvement de la TVA et de la suppression de 30 000 postes de fonctionnaires (150 000 d’ici 2015 !).

L’Irlande a reçu 85 Mds en 2010 (35 pour ses banques et 50 pour son budget également au taux de 5,8% !), le Portugal 78 Mds en 2011 et l’Espagne 100 Mds pour son système bancaire en juin 2012.

 

Les premières mesures politiques en forme de poupées russes

 

Le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) a été créé en mai 2010 et doté de 750 Mds. Le 23 mars 2011, le Parlement européen a voté pour la constitution du Mécanisme européen de Stabilité (MES) doté de 700 Mds, dont 80 Mds dès sa création. Le MES a consolidé et remplacé le FESF en juillet 2012. Sa capacité d’emprunt est limitée à 500 Mds. Le MES peut prêter directement aux États, sous les conditions de la troïka bien entendu.

En octobre 2011, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui s’applique à l’ensemble de la Communauté, a défini le « Six Pack » qui encadre les déficits et qui impose de réduire de 1/20 par an les dettes des États dès qu’elles dépassent 60% de leur PIB et de consolider les équilibres macroéconomiques. Cela se traduit par une baisse des dépenses publiques, une baisse des normes du travail, le gel des salaires, le recul de l’âge de la retraite, la baisse des pensions, la mise en œuvre de la flexisécurité et une accélération des privatisations3*. Toutes ces orientations renforcent le sentiment de rejet vis-à-vis de l’Union et approfondit la crise de légitimité qu’elle traverse.

Pour que la France, qui n’est pas dans la pire des situations, ramène sa dette à 60% du PIB supposerait qu’elle ait une croissance de 7% par an pendant 10 ans ! D’où la cocasserie des décisions prises.

Par ailleurs, la BCE, entre décembre 2011 et février 2012, a prêté 1 000 Mds à 800 banques européennes au taux de 1% (avant 2008, son taux était à 4,5%).

Le Pacte budgétaire européen, c’est-à-dire le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) signé le 2 mars 2012 est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Le Royaume-Uni et le République tchèque n’y adhèrent pas. Ce Pacte se situe dans une perspective intergouvernementale et concerne prioritairement la zone euro puisqu’il y est applicable automatiquement. Il impose, à terme, le non dépassement d’un déficit public structurel difficilement définissable de 0,5% du PIB et la réduction des dettes supérieures à 60% du PIB à raison de 1/20 par an. La Cour de justice de l’UE peut être saisie par la Commission ou par un État en cas de dépassement supposé et prononcer des sanctions pouvant aller jusqu’à 0,1% du PIB.

Les 28 et 29 juin 2012, contrairement à sa promesse de campagne, Hollande ne renégocie en rien le Pacte. Par contre, le sommet européen a permis au MES de mettre 100 Mds à la disposition des banques. L’Espagne a été la grande bénéficiaire de ce plan car les besoins de ses banques se situent entre 50 et 200 Mds, sachant qu’elles ont passé des prêts immobiliers fragiles pour 184 Mds.

C’est à ce sommet que le principe d’une union bancaire a été acté. Merkel a exigé que la supervision effectuée par la BCE ne concerne que les 200 plus grosses banques sur les 6 000 de la zone euro. Pour cela, il est question de doter l’Autorité bancaire européenne, c’est-à-dire à la BCE, de pouvoirs de contrôle plus étendus. Un fonds de garantie des dépôts inférieurs à 100 000 € sera créé également ainsi qu’un dispositif commun de résolution des faillites. La City de Londres qui est le point fort de la spéculation financière n’est donc pas concernée et la séparation des banques de dépôts des banques d’investissement n’est pas faite du tout. Bref, à part un renforcement de l’action de la BCE, rien qui embarrasse les banques.

Le 6 septembre 2012, suite à la spéculation sur les emprunts espagnols et italiens et malgré l’opposition de l’Allemagne, la BCE s’est engagée à acheter aux États, qui se soumettent aux conditions demandées par le MES, des obligations d’État de un à trois ans sur le marché secondaire, de façon illimitée. C’est ce qu’elle nomme « Outright monetary transactions » (OMT). Par ailleurs, elle renonce à sa qualité de créancier privilégié, c’est-à-dire à ne plus être prioritairement remboursée par ses débiteurs.

Le 22 janvier 2013, le Conseil pour les affaires économiques et financières (ECOFIN) a acté le principe d’une taxation des transactions financières, pris en compte actuellement par seulement 11 des États de la zone euro. Tout ou presque reste à faire car rien n’est défini sur les mécanismes d’application, ni sur les zones où cela sera appliqué. Cela consisterait en une taxe de 0,1% sur les échanges d’obligations et d’actions et en une autre de 0,01% sur les produits dérivés. Cela ne concernera pas les transactions de change qui représentent 4 000 Mds € par jour ! Une timide avancée sans grandes conséquences.

Les recettes de l’Union sont constituées par la contribution représentant 0,73% du revenu national brut des États, de droits de douanes aux frontières extérieures, de 0,3% de TVA et de droits agricoles. En novembre 2012, le débat sur le budget européen a buté sur son montant et sur la PAC (389 Mds). La France qui en retrouve 19% et l’Allemagne ne voulaient pas de recul de la PAC. Le Royaume-Uni demandait une baisse des dépenses de 20% et exigeait de garder son chèque annuel de 4 Mds correspondant à un rabais de sa contribution. Van Rompuy voulait ramener le budget précédent, qui était de 1 033 Mds, à 958 Mds et Cameron à 886 Mds !

Le 8 février 2013, le Conseil a trouvé un compromis à 960 Mds pour la période 2014-2020 (0,95 % du revenu européen brut au lieu de 1,15% pour le budget précédent). Le 13 mars 2013, le Parlement, à une très forte majorité, a voté contre ce budget en recul. Pour cette raison, le budget est actuellement en négociation entre la Commission et le Parlement. Ainsi, la PAC a trouvé un accord le 20 mars. Par contre, la commission parlementaire sur les aides aux plus démunis n’a pas pu alléger les procédures d’attribution des aides aux associations caritives ni en augmenter le montant - pour le faire passer de 2,5 Mds à 3,5 Mds - du fait de l’opposition des « socialistes » allemands. A suivre.

 

Le « Two Pack »

 

Les eurodéputés ont adopté le 20 février 2013 le nouveau règlement renforçant la discipline budgétaire européenne, le « Two Pack ». Cette disposition fait suite au « Six Pack » de novembre 2011. Cela vise à encadrer les pays en difficulté et à contrôler le processus d’élaboration des budgets nationaux en général. Il s’agit donc de prévenir et de corriger les déficits excessifs. Les États devront présenter les réformes envisagées, les budgets à moyen terme et mettre en place un conseil budgétaire « indépendant » chargé de la mise en œuvre de l’objectif, celui d’arriver à terme à un déficit structurel inférieur à 1% (0,5% pour ceux qui ne sont pas trop endettés)

Les États connaissant ou risquant de connaitre de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière seront placés sous surveillance renforcée et devront adopter, en concertation avec la Commission et la BCE, des mesures pour remédier aux causes de leurs difficultés et remettre un rapport trimestriel sur les efforts fournis. La Commission aura un accès aux comptes et informations du secteur bancaire.

Concrètement, un contrôle stricte des budgets nationaux par la Commission sera mis en place comme suit : en octobre 2013, le gouvernement présentera à la Commission, pour examen, son plan de budget pour 2015 (recettes, dépenses, déficits) ; avant le 15 avril 2014, il réajustera son projet suivant les projections et observations faites par la commission ; la Commission reformulera ses recommandations fin mai qui seront discutées par l’eurogroupe en juillet et, avant le 15 octobre 2014, le projet de loi de finance sera transmis de nouveau à la Commission qui devra donner son avis avant le 15 novembre. A ce moment-là seulement, le parlement national sera partie prenante de la discussion. Bref, un contrôle autoritaire et tatillon annihilant la souveraineté budgétaire des États.

Les parlementaires avaient négocié leur vote sur le « Two Pack » contre la volonté de rechercher de la croissance (Hercule Poirot sera-t-il sollicité ?) et d’une mutualisation des dettes.

En ce qui concerne la mutualisation des dettes, un groupe de travail s’est formé autour de deux options. La première, un « fonds de rédemption », mutualiserait la partie excessive d’une dette (supérieure à 60% du PIB) sur une période de vingt ans. Il prendrait en charge le refinancement des dettes à hauteur de 2 300 Mds. La seconde consisterait en « eurobills » qui seraient émis par une agence européenne pour satisfaire les besoins de financement de courte durée ne dépassant pas 10% du PIB de tous les États européens qui assumeraient une garantie conjointe et solidaire pour ces titres.

Les contraintes renforcées contenues dans le TSCG, voient là leur mise en œuvre concrète. Les décisions échapperont très largement aux représentations nationales, la technocratie européenne aura désormais tous les atouts en main.

 

La création en France, le 21 mars 2013, du Haut conseil des finances publiques présidé par Didier Migaud répond à cette exigence. Ce Haut conseil soumis au secret des délibérations, devra donner son avis sur les prévisions de croissance, de recettes et de dépenses avant le 15 avril 2013, afin qu’à la suite le gouvernement transmette son projet de finances publiques pour la période 2013-2017 à la Commission européenne. Cet organisme est à suivre attentivement après l’entretien de Hollande sur FR2 le 28 mars 2013 où il a clairement indiqué que la protection sociale ferait l’objet « d’économies ».

Henri Sterdyniak explicite le dilemme : « La Commission européenne nous annonce une croissance pour la France de 0,1 % en 2013, de 1,2 % en 2014, avec un déficit public de 3,7 % en 2013, de 3,9 % en 2014. Pour tenir ses engagements (3 % de déficit en 2013, 2,2 % en 2014), il faudrait que la France réduise ses dépenses publiques de 1,4 % du PIB en 2013 ; puis encore de 2 % en 2014, au total de 70 milliards en 2 ans. Ceci nous permettrait de tenir nos engagements européens mais le PIB français baisserait de 1,3 % en 2013, de 2,8 % en 2014. Ces 70 milliards de coupes budgétaires obligeraient à mettre en cause le modèle social français : il faudrait les prendre sur les familles, les retraités, les chômeurs, les services publics. »

 

 

 

 

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