Compte rendu 5 avril 2013 : crise de la zone euro deuxième partie

Publié le par Ballon Rouge

 

grogne-europe.jpgLa zone méditerranéenne en désespérance

 

Une entrée dans l’euro facteur de divergences

 

Les nations européennes, en rejoignant la zone euro, ont trouvé une monnaie bâtie sur le modèle du Deutsch Mark (DM), stable et peu inflationniste. En conséquence, dans les régions méditerranéennes, l’inflation a baissé et les taux d’intérêt faibles ont permis aux gouvernements d’emprunter. Cela a entraîné une hausse des prix de l’immobilier et in fine de la croissance et de la prospérité. Bénéficiant d’un euro fort, ces pays ont pu importer, créant un boum de consommation.

Avant l’entrée dans l’euro, l’appréciation du DM et la dévaluation des autres monnaies compensait en partie les différences de compétitivité. La mise en place de l’euro a interrompu ce mécanisme. La compétitivité de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de l’Italie, entre 2002 et 2009, s’est dégradée, alors que la compétitivité de l’Allemagne s’est améliorée, créant un écart de 25%. Jusqu’en 2007 les marchés financiers ne manifestaient pas d’inquiétude, les taux d’intérêts étaient relativement équilibrés (4,5% pour l’Allemagne et 4,65% pour la Grèce).

Au milieu de 2008, les marchés ont pris conscience des failles dans la zone euro. En effet, contrairement aux autres pays développés, la BCE ne peut pas financer les États, ce qui signifie que ceux-ci dépendent des marchés financiers. D’où la spéculation sur les obligations d’États des pays affaiblis par la crise.

Les recettes de la Commission européenne, de la BCE et du FMI (la Troïka) sont mortifères. Le chômage consécutif à la récession, qui découle des politiques d’austérité, a été programmé par la Commission dès 2010. Elle prévoyait, pour 2012, une augmentation du chômage dans tous les pays soumis à ce régime : pour le Portugal 11% (en réalité 17,6%) ; pour l’Irlande 13% (en réalité 14,7%) ; pour la Grèce 15% (en réalité 26,4%) ; pour l’Espagne 19% (en réalité 26,2%).

 

L’Espagne

 

Libérée de la dictature franquiste en 1975, l’Espagne s’est rapidement développée, à l’image de la transformation des mentalités et des modes de vies de ses habitants. A la veille de la crise, son budget était excédentaire et sa croissance forte, sa dette correspondait à 36% de son PIB (en 2008). Pour autant, l’économie informelle représentait 20% du PIB et ses créances douteuses s’élevaient à 135,7 Mds en 2011 (184 Mds aux dernières nouvelles). Enfin, l’endettement des ménages est élevé (85% du PIB) et les banques sont exposées sur le Portugal (85 Mds). Un plan de rigueur de 50 Mds en 3 ans, puis un autre de 16,5 Mds en 2012 ont provoqué une récession profonde et entraîné une crise sociale sans précédent.

Aujourd’hui, l’Espagne est, avec la Grèce, le pays le plus touché par le chômage : 26% de la population active, plus de 50% des jeunes. Un quart de la population est tombée dans la pauvreté.

La sociale démocratie a été battue dans les régions, puis au niveau national en 2011 par la droite. La coalition de gauche, Izquierda Unida, n’a pas réussi à rassembler à ces élections, récoltant de façon modeste des électeurs qui ont fait défaut au PSOE. Le Mouvement du 15 mai 2011 (M15), les indignados, n’a pas permis d’offrir une perspective de renouveau politique. La société espagnole semble aujourd’hui très mobilisée, mais sans propositions d’avenir. Les régions, plus fortement endettées que l’État, mettent en avant leurs fortes demandes d’autonomie, plus particulièrement la Catalogne où des manifestations nationalistes immenses se sont déroulées.

 

La Grèce

 

Ce pays s’est libéré de la dictature des colonels en 1974, à la même époque où l’Espagne enterrait Franco. Depuis 2008, le PIB a reculé de 25% (6,8% en 2011 et 6,4% en 2012), l’évasion fiscale est de 40 Mds par an, les plans d’austérité ont prévu 30 Mds d’économie à l’horizon fin 2013, les avoirs grecs à l’étranger sont de 300 Mds. La corruption, le gaspillage, le clientélisme, la spéculation plongent les salariés, les retraités, les fonctionnaires, la jeunesse dans une crise prolongée et sans espoir. Le chômage est passé, entre 2007 et 2012, de 7,9 à 27% pour l’ensemble de la population active, de 22,2% à 61,7% pour les 15-24 ans et de 11,1% à 36,2%  pour les 25-34 ans4*. C’est insupportable.

Le pays est en train de retourner cinquante ans en arrière : pour les anciens, il s’agit d’une « néa katochi » (nouvelle occupation). L’occupation, entre 1941 et 1944, fit 700 000 morts pour une population de 7,5 millions d’habitants. Aujourd’hui, le pays apparaît, pour la population, comme occupé par les forces économiques et bancaires représentées par la troïka, ceci d’autant que les dommages de guerre, à hauteur de 81 Mds, n’ont jamais été payés. Les positions du gouvernement allemand entretiennent une profonde aigreur et un sentiment national antiallemand.

Les différents plans d’aides, qui n’ont fait qu’aggraver la situation économique et sociale, ont certes cassé l’envol des taux d’intérêts passés à 16% en 2010 (atteignant brièvement 31% en 2011), mais n’a pas résolu le problème de la dette elle-même qui est passée de 113% du PIB en 2008 à 165% du PIB en 2011 et sans doute à 189% du PIB maintenant (316 Mds) !5*

Les conséquences sociales sont très lourdes. Par exemple, en 2011, les salaires de base de la fonction publique ont été amputés de 7%, les primes de 12%, les retraites de 10%, les primes de vacances de 30%, les 13ème et 14ème mois ont été supprimés. Globalement, depuis, une baisse de 30 à 40% ! Il faut savoir que les salaires sont deux fois moins élevés qu’en France et que les prix de consommation courante sont les mêmes qu’ici. Dans le même temps, l’imposition a augmenté : en Grèce, pour un même revenu, jusqu’à 1 118 € par mois, l’imposition est 1,82 fois plus forte qu’en France ; au-dessus la différence diminue légèrement.6*.

D’autre part, 35% de l’économie échappe au fisc. Sur 11 millions d’habitants, seuls 2,5 millions de travailleurs paient des impôts. Avocats, médecins libéraux, gros commerçants et autres ne déclarent en moyenne que 12 000 € de revenu annuel ! Les armateurs sous pavillons de complaisance ne paient pas d’impôts en Grèce, l’église orthodoxe non plus. Enfin, le budget militaire est le plus élevé de l’UE à 4,5% du PIB. Tous les domaines sont concernés par les privatisations exigées par la troïka dans le but de rassembler 50 Mds (la moitié du port du Pirée a été vendue à une entreprise chinoise). Depuis le début de la crise, les Grecs ont retiré 260 Mds des banques. Les riches et les fraudeurs ont envoyé la moitié de cette somme dans les banques suisses et chypriotes, les autres ont renoué avec le bas de laine.

Cette régression générale a entraîné une grave crise sanitaire, les admissions à l’hôpital ont bondi de 24% alors que les moyens financiers ont baissé de 40%. La consommation d’héroïne a augmenté de 20% et les cas de sida de 52%. La Grèce pays de transit est devenue pays consommateur. En conclusion, le taux de suicides a progressé de 25% entre 2010 et 2011.

Les responsabilités des hommes politiques grecs et ceux de l’Union sont lourdes. Kostas Simitis a commencé à trafiquer les comptes à partir de 1999, en faisant appel aux experts de Goldman-Sachs, afin de faire entrer la Grèce dans l’euro en 2001. En 2004, Konstantin Karamanlis, a dénoncé le déficit qui a atteint 4,8%, puis a fait comme son prédécesseur du PASOK. Quand Giorgos Papandréou arrive en 2009, le déficit est à 8% et celui-ci reconnaît qu’il y a eu tromperie.

La Grèce a inauguré la nouvelle politique européenne de mise sous tutelle le 9 novembre 2011. Giorgos Papandréou, coincé entre les exigences de l’UE et la colère populaire, a proposé un référendum le 31 octobre. Les pressions des divers gouvernements, des banquiers ont été telles qu’il a abandonné l’idée le 4 novembre et démissionné le 7. Deux jours plus tard, il a été remplacé par Loukas Papadimos, un ancien de Goldman-Sachs. C’était la première fois depuis 1967 que le Premier ministre n’était pas élu par les députés !

En Grèce, le gouvernement Papadimos a exagéré volontairement les données de la crise de l’endettement de son pays (déclarant avec la complicité de la Commission 15,4% de déficit au lieu de 12,5% en réalité) afin de créer un climat d’angoisse dans la population et lui faciliter relativement la mise en place de nouvelles mesures d’austérité jugées indispensables.

Le 6 mai 2012, les élections législatives ont vu la percée de la coalition de la gauche radicale (SYRIZA) avec 16,78%, derrière la Nouvelle démocratie à 18,85%, mais devant le PASOK à 13,18%, grand perdant. Antonis Samaras (ND) est devenu Premier ministre. Le parti LAOS d’extrême droite est laminé, mais supplanté par Aube doré (6,97%), parti xénophobe, extrêmement violent et ouvertement nazi.

Jacques Sapir pronostique un défaut de paiement de la Grèce imminent, laissant ouvert toutes les incertitudes.

 

L’Italie

 

La situation de l’Italie est très différente de celle de la Grèce, pourtant un point leur est commun : le 12 novembre 2011, Silvio Berlusconi était remercié et remplacé par Mario Monti, ancien commissaire européen et ancien consultant de Goldman-Sachs. La dette du pays avait été accumulée à des périodes antérieures à 2008 et a atteint 120% du PIB en 2011, retrouvant le même niveau qu’en 1994 du fait de l’essoufflement de la croissance. En effet, le PIB s’est contracté de 5% en 2009 et de 2,4 en 2012. Le plan de rigueur de 50 Mds en 2011 et 2012 n’a pas arrangé les choses

Depuis les années 1990, la croissance est faible malgré une balance exportatrice positive, la productivité est également relativement maigre car les entreprises sont massivement de petites tailles. Le droit du travail a été réformé par Berlusconi en 2003, ce qui a créé une masse importante de travailleurs précaires (3,8 millions) dont 30% des jeunes qui ont une licence. La part des salaires dans le revenu des entreprises est passée de 65% en 1975 à moins de 50% dans les années 2000. En particulier, les augmentations de salaires, durant les années 2000, ont compensé à peine l’inflation.

Pour autant la situation sociale et politique est moins désespérante qu’en Grèce. Le chômage, à 11,7%, est élevé (36% chez les jeunes), mais les difficultés sont encore supportables car les plans d’austérité sont moins drastiques. De plus, depuis 2009, des mouvements spontanés ont mené des actions extrêmement massives contre Silvio Berlusconi (le 9-12-2009, le « No Berlusconi Day » et le 13 février 2011, appelés par les mouvements san precario et il popolo viola), actions soutenues par les centrales syndicales. Cette gauche a permis l’élection des deux candidats à Naples et à Milan en 2011. Enfin, cette même mouvance a appelé à la manifestation monstre à Rome le 15 octobre 2011. A la suite du 12 novembre 2011, la situation a présenté une certaine originalité dans la mesure où le Parti démocrate, de gauche, issu du PCI, a soutenu Monti et que la CGIL l’a combattu, ce qui est nouveau.

Les 24 et 25 février 2013, les élections législatives anticipées ont vu la montée du Mouvement Cinq Etoiles avec 25,5% en Italie, derrière la coalition de Berlusconi à 29,1% et la coalition de Bersani à 29,5%. Cette percée qualifiée de « populiste » correspond à un désaveu de la classe politique, à une opposition à la politique mortifère de l’UE, à une réaction nationaliste et xénophobe et à une pratique politique de mobilisation en dehors des organisations politiques traditionnelles.

 

Chypre

 

Ancienne colonie anglaise, qui y a conservé deux bases militaire importantes, Chypre est partagée depuis 1974. La partie nord est occupée par la Turquie. Au moment des guerres civiles au Liban, la majorité des grosses sociétés occidentales travaillant au Moyen-Orient se sont repliées sur Nicosie. A partir de 1991, les oligarques russes y ont placé leur fortune. C’est ce qui a fait la fortune de Chypre. En 2007, 60% des 157 Mds $ d’investissements russes se sont retrouvés soit à Chypre, soit au Luxembourg. La même année, Chypre investissait 11 Mds $ en Russie. En 2011, les capitaux russes entrant à Chypre étaient 93 Mds, ceux venant de Chypre et entrant en Russie étaient 100,8 Mds.

Brièvement : Le PIB de ce petit pays de 1,1 million d’habitants est de 17 Mds, sa dette représente 90% de ce PIB, le déficit en 2011 était de 7%, les dépôts bancaires sont de l’ordre de 74 Mds, presque 8 fois le PIB (en France, ils sont de l’ordre de 2,5 fois le PIB, mais au Luxembourg plus de 20 fois), les avoirs russes étaient de 31 Mds au 1-09-12 et Chypre était en récession de 2,4% en 2012.

L’île, souhaitant entrer dans l’Union européenne, a dû faire un certain nettoyage parmi les 4 000 compagnies off-shore présentes, qui sont passées à 400 environ. Son entrée dans l’UE en 2004 a été vivement saluée par les pays européens et condamnée par la Turquie. Elle est entrée en 2008 dans la zone euro.

Très rapidement, du fait de leur exposition sur la dette grecque, dont la restructuration leur a coûté 4,5 Mds (24% du PIB), les banques se sont trouvées dans le rouge. En 2011, la Russie a avancé un prêt de 2,5 Mds à 4,5% remboursable en 2016.

Le 5 août 2012, un plan de rigueur de 750 M est voté impliquant une baisse de 15% du salaire des fonctionnaires et une baisse de 10% de leur nombre, la TVA passe de 15% à 17% et la tranche d’imposition des revenus supérieurs à 60 000 € par an de 30% à 35%. Le 8 octobre 2012, la troïka demande une nouvelle baisse des dépenses publiques et une augmentation des impôts. Le 22 novembre 2012, la demande d’aide de la part de Chypre se monte à 17 Mds. De fait, renflouer Chypre avec 17 Mds reviendrait à faire passer sa dette à 180% de son PIB !

Le président de Chypre depuis 2008, Christofias, communiste, s’est opposé à toute ingérence dans les affaires de Chypre. C’est ainsi que, tout le long de 2012, l’UE a attendu l’élection du 24 février 2013 qui voit l’arrivée à la présidence du candidat de droite, Nicos Anastasiades.

Le FMI propose l’effacement d’une partie de la dette, ce à quoi Merkel et Junker s’opposent. Il est question que la Russie proroge son prêt (ce qui semble exclu maintenant vu la ponction effectuée sur ses dépôts).

Le 16 mars 2013, la troïka offre une aide de 10 Mds sous la condition d’une contribution de 7 Mds de la part de Chypre provenant d’une ponction de 6,5% sur tous les compte inférieurs à 100 000 € et une ponction de 9,9% sur les comptes d’un montant supérieur à 100 000 € accompagnées par des mesures drastiques d’austérité. « Il est en effet plus libéral de spolier un retraité chypriote en prétextant qu’on vise à travers lui un mafieux russe réfugié dans un paradis fiscal que de faire rendre gorge à un banquier allemand, à un armateur grec, à une entreprise multinationale abritant ses dividendes en Irlande, en Suisse ou au Luxembourg. » Serge Halimi, Le Monde diplomatique avril 2013.

Le 19 mars, le Parlement chypriote refuse.

Le 21 mars la BCE pose un ultimatum : à défaut d’accepter le plan d’aide, elle ne financera plus le système bancaire de Chypre, ce qui équivaut à l’expulser de la zone euro, sinon de l’Union.

Le 25 mars, le président accepte, sans consultation du parlement, les conditions de la troïka pour obtenir 10 Mds du MES et du FMI. Ces conditions sont la mise en faillite de la Laïki Bank scindée entre une « bad bank » et une « good bank » récoltant les avoirs des épargnants en dessous de 100 000 € ; la Bank of Cyprus reprendra les 9 Mds de dette de la précédente ; des privatisations auront lieu ; l’impôt sur les sociétés passera de 10 à 12,5% (seulement ! - 35% en France -) ; les comptes de dépôts dépassant 100 000 € seront ponctionnés à hauteur de 30%. Heureusement, la troisième banque, Hellenic Bank, appartenant à l’Église orthodoxe chypriote ainsi que VTB, une banque russe, ne sont pas touchées ! En attendant, des mesures sont prises pour bloquer les capitaux sur l’île et empêcher les fermetures de comptes. Jacques Sapir indique qu’il s’est produit pourtant une fuite des capitaux pendant la fermeture des banques, via des succursales en Grèce.

La bienveillante tolérance à l’égard de l’activité de blanchiment et de paradis fiscal semble en partie remise en cause. Cela n’empêche que l’économie de l’île basée presqu’exclusivement sur l’activité bancaire spéculative ne se relèvera pas et que l’avenir se présente comme catastrophique. De plus, la Turquie revendiquant des eaux territoriales dans le but de prospecter les réserves gazières en Méditerranée pose de nouveau, vivement, le problème de l’occupation turque.

Il reste que le sacro-saint principe de libre circulation des capitaux vient d’être jeté aux orties et que la BCE lève le voile sur sa véritable nature : une puissance se moquant comme de sa première chemise de la souveraineté de Chypre. Il est aussi remarquable que la garantie dans l’UE des dépôts inférieurs à 100 000 €, acté fin juin 2012, ait failli voler en éclats. Par contre, la décision de taxer les dépôts supérieurs et de mettre en faillite la Laïki Bank est un changement important.L’UE a considéré la crise fondamentalement comme étant bancaire devant d’abord être assumée par les actionnaires, puis les créanciers et enfin par les épargnants non garantis. Fier de cette avancée, Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, s’est cru autorisé d’annoncer que le plan chypriote constituait « le nouveau modèle de sauvetage des banques de la Troïka », qui désormais « s’appliquerait » là où on ferait appel à l’Eurogroupe. D’où la panique des marchés, rapidement rassurés par les démentis empressés de Mario Draghi.

 

La Slovénie

 

En Slovénie, indépendante depuis 1991, la transition entre l’économie d’État planifiée à l’économie marchande s’est faite, d’un point de vue économique, de façon plutôt satisfaisante. Le chômage, à la veille d’entrer dans la zone euro en 2007, était de 5%, la dette s’élevait à 8,5 Mds (20% du PIB), le budget était excédentaire de 4%. Son modèle social hérité de la période yougoslave était caractérisé par une éducation gratuite jusqu’au troisième cycle universitaire et un excellent système de santé.

Son industrie, très sensible à la crise, est une industrie de sous-traitance par rapport aux pays européens du nord. 2008 a entraîné les banques restées sous le contrôle de l’État dans des difficultés dues à des actifs toxiques dans l’immobilier (6,5 Mds, 18% du PIB).

Après l’entrée dans la zone euro, la volonté de libéraliser l’économie s’est renforcée et les privatisations de Nova Lubljiana Banka, de Télécom Slovenije ou de la compagnie nationale Petrol, etc. sont maintenant d’actualité. Le PIB a plongé de 7,8% en 2009, le déficit public a atteint 6% du PIB et la dette est passée de 8,2 Mds en 2009 à17 Mds en 2012 (47,6% du PIB). Le premier ministre Janez Jansa, à partir de février 2012, s’est lancé dans une politique d’austérité à hauteur de 500 millions : baisse des dépenses publiques, des salaires des fonctionnaires, réforme du marché du travail, des retraites, du système de santé, baisse de la fiscalité des entreprises (de 20% à 15%), allègements fiscaux sur les investissements, etc. M Jansa appartient au Parti démocratique slovène (SDS), parti de droite, violemment anticommuniste et nationaliste. La situation en Europe pourrait lui donner l’opportunité de s’aligner sur la politique de la Hongrie voisine, dominée par le nationalisme et la xénophobie.

Ces mesures s’ajoutant à une corruption généralisée des élites politiques, ont été violemment combattues par la population. M. Jansa a été démis le 27 février 2013 et la troïka est maintenant à pied d’œuvre !

 

La politique néolibérale orchestrée en Europe par l’UE se trouve ainsi relayée par des gouvernements qui ne cachent plus leur appétence pour des régimes autoritaires.

 

 Deux ou trois idées en guise de conclusion

 

La fracture Nord – Sud

 

La France a porté la volonté de créer la zone euro, tout en consolidant le couple franco-allemand, afin de ne pas rester dans un système monétaire européen dominé par le Mark. C’était pour elle le moyen de conserver un leadership dans l’UE. La France n’a pas résisté dans le cadre de cette concurrence « libre et non faussée » : en 2011, l’excédent commercial de l’Allemagne était de 146,5 Mds pendant que le déficit commercial de la France était de 74 Mds.

Pourquoi les économies de l’Espagne, de l’Italie du Portugal et de la Grèce sont les premières touchées ? Olivier Delamarche, chroniqueur sur BFM Business, répond : « Mais parce qu’à part l’Italie, c’étaient des économies pauvres lorsqu’elles sont entrées dans l’UE ! L’euro est en quelque sorte venu trop tôt et a fait croire à leur rattrapage, mais c’était un leurre. […] Tout cela se soldera-t-il par un effondrement de l’euro ? […] Plusieurs scénarios sont possibles, certains moins coûteux (sortie de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne) que d’autres (sortie de l’Allemagne). Ce qui semble clair en revanche, c’est que pendant quelques années au moins, la croissance de la masse monétaire ne sera pas supérieure à celle de l’économie. L’économie d’endettement, c’est terminé. Dès lors, comment se fera la croissance dans les différents pays ? Telle est bien la question ! »

Aux inégalités et divergences économiques, s’ajoute une impéritie politique. Henri Sterdyniak affirme avec pertinence : « On ne peut pas avoir à la fois une monnaie unique, une parfaite liberté des capitaux et des politiques économiques autonomes et non solidaires entre elles. »

De fait, l’opposition entre tenants de l’Europe des États-Nations et les fédéralistes a toujours existé depuis la création de la CECA et du Conseil de l’Europe. Une Europe fédérale supposerait un impôt fédéral en contrepartie d’une réelle mutualisation des dettes à l’issue d’une mise à plat totale des précédents traités. Indépendamment du fait que les pays comme l’Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni sont absolument opposés à ce type de fonctionnement, la légitimité de la politique de l’Union européenne est actuellement fortement remise en question parmi toutes les populations. Une enquête menée en juin 2012 simultanément en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie atteste qu’une majorité massive s’inquiète de la crise et doute des capacités de l’Union à la surmonter. Si les sondés considèrent comme « une bonne chose » d’appartenir à l’Union (en France 62%, en Allemagne 64%, en Espagne 74%, en Italie 61%), une majorité estime que « la crise va aboutir à un éclatement de la zone euro » (67%, 70%, 75%, 42%). Par ailleurs, 51% des sondés français et 50% des sondés allemands souhaitent « moins d’intégration européenne », tandis que 67% des sondés espagnols et 70% des sondés italiens souhaitent « une intégration européenne renforcée avec une politique économique et budgétaire unique ». En fait, aussi bien en France qu’en Allemagne et surtout en Grèce, se fait jour une aspiration croissante à plus de souveraineté nationale et donc à plus d’indépendance vis-à-vis de l’UE.

Plus près de nous, le CEVIPOF, dans son baromètre de la confiance politique, montre une perte de confiance dans l’Union européenne (42% de confiance en décembre 2009, 33% en décembre 2012) et une demande pour se protéger du monde extérieur en progression (30% en décembre 2009, 46% en décembre 2012). Le fait est connu du Front national qui pétitionne pour demander un référendum pour une sortie de l’UE dans la perspective des élections européennes où ils espèrent passer en tête ! Par ailleurs, toujours au nom d’une opposition à l’UE, le FN appelle à voter NON au référendum du 7 avril en Alsace sur le projet de collectivité unique, en rapport avec les directives de la Commission sur la création de pôles européens.

D’autre part, la sortie de l’euro ne permettrait probablement pas de résoudre la question de la dette car les bénéfices obtenus à la faveur de la dévaluation seraient vite perdus au niveau du renchérissement de la dette et du coût de la facture énergétique. C’est pourtant ce qui se profile de façon de plus en plus insistante pour un nombre conséquent de pays. L’ultimatum de l’UE à Chypre montre que le tabou est tombé.

En attendant qu’une solution satisfaisante se fasse jour, qui suppose des restructurations partielles des dettes les plus criantes sinon leur annulation, l’avenir se construira très probablement par la conquête de marchés dans les pays émergent en faisant encore plus pression sur les salaires et en précarisant encore plus les jeunes et les retraités.

 

A la recherche de perspectives politiques

 

De fait, la création de la zone euro a surtout encouragé un surendettement privé et public. Le plus grave a été le non ajustement des politiques économiques des pays membres, prisonniers des principes intangibles de la concurrence, de la compétitivité et du libre-échange. L’idée proclamée qu’un grand marché conduit à l’unité économique et celle-ci à l’unité politique se trouve démentie par les faits. En conséquence, l’Europe a besoin d’une « refondation », de façon urgente. Cette refondation passe très probablement par le renversement des gouvernements dans un certain nombre de pays, au moins, et l’irrésistible volonté des peuples à prendre en main leur destin.

Le capitalisme, pour tenter de dépasser ses contradictions, s’est lancé dans la mondialisation néolibérale qui lui a offert un nouveau souffle. Pour autant, la financiarisation de l’économie n’est pas une solution pérenne : une masse immense de capitaux cherchent fébrilement des investissements toujours plus lucratifs, mais qui sont aussi toujours plus dévastateurs. La poursuite du développement du capitalisme par l’endettement généralisé et la spéculation sans limite occasionnent des crises financières de plus en plus rapprochées et graves. Dans ces conditions, les risques de voir s’installer des pouvoirs autoritaires et technocratiques sont de plus en plus réels.

La crise de l’euro est certainement la plus grave des 25 dernières années, en attendant celle du dollar. Tant qu’il y aura des peuples soumis pour jouer, les investisseurs continueront. Seulement, les conséquences sociales et politiques risquent de ne plus être maîtrisables. La fameuse « guerre économique », lorsqu’elle joue perdante, pourrait se transformer en guerre, tout court.

L’Union européenne, construite soi-disant pour s’émanciper des USA, s’y trouve entièrement arrimée. L’élargissement de la Communauté européenne en 2004 aux anciennes « démocraties populaires » a lié leur entrée à l’appartenance à l’OTAN§ ! La mondialisation l’a mise, encore plus que dans les années 1930, en interdépendance avec les autres puissances. Sa puissance économique, politique et militaire passée se trouve définitivement révolue. Est-elle capable de relever le défi d’un autre monde ? Est-elle seulement capable de survivre à la crise actuelle ?

Peut-on supporter ce qui se passe à notre porte et croire qu’on y échapperait, sachant que les solutions provisoires mises en pratique par l’UE sont catastrophiques et totalement antidémocratiques ?

Quelles sont les modes d’organisation qui permettront de dépasser le niveau de la protestation ou encore de l’exaspération ? Le capitalisme ressenti comme indépassable est dépassé par les problèmes qu’il a générés. Alors, est-il encore possible de prendre de vitesse la catastrophe annoncée ? Le temps est compté car le système est dans une situation extrêmement délicate, « dans une sorte de fuite en avant », et la panique peut le saisir. Les mouvements d’extrême droite, dans toute l’Europe, ont fortement progressé dans l’imaginaire collectif, portés par une idéologie marquée par un nationalisme antieuropéen et un « social-populisme » mystificateur. Leurs liens avec les forces de répression, en particulier en Grèce, accentue leur dangerosité.

Très modestement, pour ma part, je pense qu’il est indispensable d’avancer des propositions offensives pour une refondation de l’Europe, une Europe voulue par les peuples, définie par les peuples. Cela peut-il se faire sans remettre en cause la domination capitaliste ou, pour le moins, lui imposer un rapport de force conséquent ?

 

§ Entrée dans l’OTAN 1999 : République Tchèque, Pologne, Hongrie ; en 2004 : Estonie, Lettonie, Slovaquie Slovénie, Lituanie. Entrées dans l’UE en 2004. La Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l’OTAN en 2004 et dans l’UE en 2007.

 

Michel Bonnard, 05-04-2013

---------------

 

Bibliographie :

HISTOIRE DE L’EUROPE DE L’EST de la seconde guerre mondiale à nos jours, Jean-François Soulet, Armand Colin, 2011

Face aux crises, Une autre Europe, Fondation Copernic, Syllepse, 2009

L’horreur européenne, Frédéric Viale, Tatamis, 2010

Confluences Méditerranée N°80 Hiver 2011 – 2012, L’Europe méditerranéenne en crise, L’Harmattan

Le ventre est encore fécond, Les nouvelles extrêmes droites européennes, Dominique Vidal, Libertalia

http ://www.okeanews.fr/#axzz2ONExx2YG

http ://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/eurostat/home/

http://www.legrandsoir.info/profonde-crise-economique-politique-et-sociale-en-slovenie.html

 

--------------

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article