Intervention de Benoit Grauer le 13 novembre 2009

Publié le par Ballon Rouge

 

Le mur de Berlin est tombé voici vingt ans. Plusieurs témoignages nous ont été offerts sur nos chaînes de service public, lesquelles ont aussi énuméré pour ne pas dire aligné les nombreux murs érigés de par le monde.

 

Tous les murs témoignent de l’échec magistral d’une humanité qui fuit le vivre-ensemble tout comme fuient les lignes du mur sur l’horizon désertique. La perspective d’un mur est effrayante, pas seulement pour l’image qu’elle marque sur l’objectif, mais aussi pour l’objectif lui-même d’une vie sans perspective aucune. En Palestine, cet exemple le plus proche de nous, non seulement le mur rend concrète la séparation des peuples, mais aussi enferme dans son béton la possibilité même de la création de deux états dont les échanges pourraient enrichir tout le monde. Il faudra attendre que tombe le mur pour une réunion des peuples dans un même état qui prospérera de sa diversité, tout comme la réunification s’est faite, non sans mal, en Allemagne.

 

Si je vous parle des murs, c’est qu’ils sont toujours nommés « murs de sécurité ». Ils sont toujours dressés pour la sécurité de ceux qu’ils enferment, tout comme le petit propriétaire dans sa clôture et derrière son portail. Ils sont dressés pour éviter les invasions de certains indésirables dont les intentions ne seraient pas bonnes. Et comme à toute chose nouvelle se présente le revers de la médaille, le mur, qu’il soit de béton ou de barbelés, doit lui-même être protégé parce qu’il est agressé de tout part. C’est ainsi que naissent les nouveaux métiers comme les agents de sécurité, peut-être en remplacement des anciens douaniers qui sous nos latitudes ne travaillent presque plus aux frontières elles-mêmes. C’est ainsi que naissent aussi des nouvelles combines pour épaissir les fins de mois de ces mêmes agents.

 

Le mur de séparation, quel qu’il soit, impose la nouvelle arme numérique qu’on nomme la vidéosurveillance, et dont la seule fonction est de protéger le mur. Nous allons voir que la fonction inverse existe aussi. C’est à dire que les réseaux de vidéosurveillance créent des murs de séparation, même s’ils sont symboliques... pour l’instant.

 

La proposition se résume en une phrase : le mur de séparation sur le terrain impose la vidéosurveillance, et, inversement, la vidéosurveillance impose un mur de séparation entre le pouvoir et le peuple, certes plus symbolique, mais pour combien de temps !

 

Partout dans le monde naissent des villages privés, entièrement sous vidéosurveillance. Le but de l’usage de cette technologie n’est autre que de protéger les privilèges de leurs habitants. Inutile de dire la place réservée à l’étranger ou au voyageur ! Sans montrer patte blanche, il est vain d’insister ! Pire, l’étranger est suspect. Avant même qu’il décline son nom, il est vu, jugé sur sa mine et son habit, présumé non pas innocent, mais déjà coupable d’oser se présenter. C’est lui, dans un interphone, qui devra convaincre de son innocence et justifier des raisons de son initiative à l’oreille d’un gardien inconnu.

 

Dans le no man’s land qui longe les murs se séparation, nul ne peut s’aventurer sans être vu et déjà supposé clandestin ou fuyard par le préposé aux écrans dont la formation n’est pas définie autrement que, le plus souvent, militaire. Ceux qui sont allés à l’armée savent que la formation n’y est pas autre que militaire. Il pourra donc, sur la simple apparence ou sur le comportement, donner l’alerte. Il prendra même cela pour une consigne ou un ordre.

 

Donner l’alerte. Voilà bien la fonction majeure du surveillant. La technologie de pointe permet aux yeux électroniques de voir des détails tout petits. Elle permettra bientôt, grâce aux moyens poussés d’analyse des images, de donner l’alerte sans intervention humaine. Une ficelle qui dépasse de la poche ! Imaginez la frousse ! C’est une mèche ! Donner l’alerte !

Donner l’alerte, oui, mais à qui. Devant les écrans de contrôle, des  policiers ou des soldats, dignes représentants du maintient de l’ordre, ou, dans le pire des cas, des sociétés civiles et anonymes dans la mesure où les services municipaux sous-traitent volontiers ce genre d’activité.

 

A Paris, seule la police peut avoir accès aux salles de contrôle. « Leur mission actuellement n’est pas d’avoir les yeux rivés sur les écrans, mais d’aider les agents de terrain en cas de coup dur ». C’est du moins ce qu’a déclaré un parte parole chargé de com. pour la Police de Paris. Mais l’ambition du gouvernement est de porter le nombre de caméras de 20000 à 60000 pour toute la France. On se demande à qui profite ce marché prometteur ?

 

Rien qu’à Paris, Bertrand Delanoë va pouvoir dépenser 80 millions d’euros pour les 1100 caméras supplémentaires. (Actuellement 120 pour la préfecture, 9500 pour la RATP et la SNCF, 206 pour la mairie de Paris, et 114 au Parc des Princes.)

Michèle Alliot-Marie en fait son cheval de bataille pour changer la loi d’orientation et de protection de la sécurité intérieure. Place Beauvau, on ne se pose pas de question sur le bien fondé des implantations. Même si les sondages donnent 61% d’opinions favorables à l’implantation des caméras, mais 71% d’opinions en faveur d’un contrôle démocratique de leur fonctionnement. La seule difficulté, c’est de promouvoir le procédé de façon pédagogique, en s’appuyant sur les éléments positifs que conseillent les lobbyistes. D’où la création d’un comité d’éthique pour l’usage de la vidéosurveillance avec des membres pour moitié nommés par le préfet et pour moitié par le maire de Paris, maire dons nous connaissons l’indépendance par rapport au gouvernement ! On remarque que la Cnil, organisme indépendant qui contrôle les autorisations d’implantation et l’usage des caméras, n’est pas invitée à participer au comité d’éthique ! C’est de la com. On peut soutenir notre position liberticide par un comité d’éthique !

 

On le voit à Paris, c’est le pouvoir qui surveille, bien qu’il vente son produit comme un outil efficace contre la délinquance et contre le terrorisme, pour la sécurité des citoyens. D’ailleurs le procédé ne se nomme plus vidéosurveillance mais vidéoprotection ! Les événements semblent se synchroniser dans le temps, sans que nos politiques ne le notent. N’est-il pas curieux que les casquettes, les capuches qu’arborent nos jeunes, les voiles plus ou moins cagoules fassent leur sortie au moment où tous les visages doivent être fichés ? Mais il est vrai qu’Edvige elle-même n’a encore jamais montré son visage !

 

L’argument le plus souvent avancé, par des gens sensés ou par des commerçants dont on peut comprendre leurs motivations : « quand on n’a rien à se reprocher, pourquoi pas ! » Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’il leur appartiendra de prouver qu’ils n’ont rien à se reprocher alors même qu’ils seront devant quelque officiel persuadé de leurs agissement douteux, et loin, très loin de la présomption d’innocence. La vidéo, comme le mur symbolique qu’elle impose, rend chacun de nous suspect. J’irai même plus loin, le pouvoir dont la prétention est de lutter contre l’ennemi invisible qu’il appelle terroriste, ou racaille, ou délinquant, se condamne lui-même devant sa propre justice par le fait qu’il s’enferme dans un monde sous surveillance, alors même que les lois sur le droit à l’image refont surface dans les médias. Il s’oblige à surveiller ceux qu’il positionne en poste de surveillant. Nous sommes persuadés qu’à l’Elysée n’ont jamais autant été surveillés les agents de surveillance quant à l’usage qu’ils font de ce qu’ils voient ou entendent. Les fuites font mal ! Mais toute frontière ou mur, même symbolique pêche par sa perméabilité obligée. Nul contrôle ne pourra jamais prévenir des fuites. C’est une escalade dans l’absurde que l’histoire s’acharne à représenter comme telle.

 

L’idéologie du tout sécuritaire semble bel et bien résulter des manœuvres obligées d’un monde dont la course au profit ne s’embarrasse ni d’éthique ni de morale. Elle enferme de plus en plus ce monde invaginé      dans une lutte acharnée contre son ennemi infiltré, qui serait l’espion même de son contre-espionnage, et qui le menace de l’intérieur par la simple révélation de ses agissements. Les récentes communications du pouvoir, vacillant et perturbé, tentent de dresser un mur dont le tracé séparera les fortes identités françaises d’un côté, et les identités floues de l’autre, pour ne pas dire non-conformes. Il oublie, de fait, le métissage extraordinaire de ses terres lointaines, la Guyane, la nouvelle Calédonie, Mayotte, etc.  C’est au point que le mieux serait, pour se préserver des suspicions automatiques, de porter sur le dos la photo de Marianne avec son bonnet phrygien. Mais encore faudrait-il que nous n’ayons pas à prouver le bien fondé de notre identité française pour obtenir ce passe droit dans les services spécialisés et formés, militairement, à la non-discrimination...

 

Il y a 62 ans que le Conseil national de la résistance jetait clandestinement les bases du système social de notre pays, et se soutenait des mots de notre devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité ! ». Aujourd’hui, la liberté est sous surveillance dans tous nos actes de déplacement, d’achats et d’échanges, l’égalité et la fraternité sont suspectées de complot et mis à mal par l’individualisme matraqué à longueur de publicité commerciale et de challenge managérial au sein même de l’entreprise sous vidéoprotection.

Je vous rappelle que tout soutien à un clandestin est un délit, et que la délation sera bientôt récompensée.

 

Nous avons encore à réfléchir sur la société que nous souhaitons !

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