Les Services Sociaux d’Intérêt Général. (Vision d’un acteur)

Publié le par Ballon Rouge

En 2001 alors que les débats sur la circulaire Bolkestein future Directive Services concernant les services dans le Marché européen n’avaient pas encore mis plein feu sur le plombier polonais, le gouvernement Jospin décidait de passer l’ensemble de l’action sociale dont la formation professionnelle dans le Marché et non plus par la subvention. L’Europe l’exige, c’était l’argument décisif.

 

 Pour ma part, président de la Fédération Nationale des UROF (Unions Régionales des Organismes de Formation travaillant sur commande publique pour les demandeurs d’emploi), n’ayant rien vu venir de Bruxelles qui pût laisser penser cela, j’en étais atterré parce que, qualitativement, ce ne pouvait être qu’une catastrophe. On entrait dans du contre nature. Je consultai aussitôt le Ministère du Travail,  pour constater qu’il n’existait pas d’injonction de Bruxelles en ce sens. Bruxelles voulait, transparence et mise en concurrence des commandes publiques en général. J’interpellai partis politiques et syndicats sur ce point. Ca n’intéressait personne, en dehors du PC qui découvrait avec intérêt notre réaction.

 

J’organisais alors un colloque que j’animais à l’Assemblée Nationale sur ce sujet  pour le secteur de la formation. 450 participants : Avec en tribune Ministère du travail, représentation de L’Association des Régions de France, l’ANPE, l’UNEDIC, et nos représentants.

Il était clair que l’Europe n’imposait rien mais il était tout aussi clair, à Gauche comme à Droite, que le Marché s’imposerait partout et que nous ne devions pas espérer pouvoir y échapper. Personne n’était décidé à s’y opposer.

 

Or l’enjeu pour nous, n’était pas d’échapper à la mise en concurrence, il était de fonctionner dans le cadre juridique permettant d’apporter le meilleur service aux publics que nous recevions…Et le code des marchés publics était, d’évidence, inadapté pour cela. Par ailleurs, nous n’acceptions pas l’utilisation de l’Europe une fois de plus en bouc émissaire pour ce qui nous semblait relever de l’inféodation idéologique au libéralisme aveugle.

D’où des colloques, des conférences de presse et de nombreuses interpellations à tous les décideurs dont les régions et leur association nationale. Au fil des années les régions, expérience faite, aboutissaient au même constat que nous.

 

Fin 2006 sortait la Directive Services. Je constatais parallèlement que le Parlement européen, comme la commission avançait sa réflexion sur la nécessité d’extraire des services sociaux du cadre du Marché parce que pour l’Europe, l’accomplissement de la mission d’intérêt général prime sur les règles du Marché. Le concept de Services Sociaux d’Intérêt Général(SSIG) était  mis en avant par la Parlement européen. Un collectif français de 15 organismes (FNARS, UNIOPSS, mutualité française, mutualité fonction publique, Centre européen des entreprises de service public, union sociale de l’habitat, MGEN,…) s’était constitué en interlocuteur de l’Europe sous le sigle « collectif SSIG », utilisant des moyens importants fournis par certains de ses membres y compris une présence permanente à Bruxelles.

 

Début 2007,  je lançais le collectif SSIG formation partant du principe que du côté de l’Union, rien n’était décidé sur cette question jugée importante. Objectif amplifier notre contestation et permettre à la formation professionnelle de rejoindre le collectif SSIG interprofessionnel.

 

Le collectif de la formation que j’animais comprenait l’AFPA, les UROF, l’Education Nationale, le CNAM, le Synodes, ( syndicat naissant de l’économie sociale) et cinq autres groupements dont la FFP syndicat à l’époque affilié au MEDEF qui devait nous quitter au bout de six mois.

 

Début 2008 nous avons été reçus au sein du collectif SSIG inter secteurs dans lequel notre propre collectif s’est dissout volontairement. Nous avons trouvé là, surtout au niveau de l’animateur du collectif SSIG une expertise des questions juridiques et une connaissance des rouages européens bien supérieures aux nôtres, et clairement mise au service de l’intérêt général. Un lobbying impressionnant a été conduit auprès de toutes les instances de l’Union européenne. (CESE, Comité des Régions, Parlement ; DG de la commission et commissaires). Cela a donné notamment un projet de loi présenté en 2010 par le parti socialiste et rejeté par l’Assemblée nationale, et la constitution d’un groupe de réflexion parlementaire  européen  sur ces sujets. 70 députés, une première.

 

Depuis, la fédération des UROF, sous la conduite de son nouveau président, a dopé ses nombreuses interventions auprès des régions de France qui sont les interlocuteurs de ses instances régionales grâce à l’apport de Laurent Ghékière l’animateur du collectif SSIG, qui est devenu un conseil important des régions et un intervenant clé des deux colloques supplémentaires que nous avons organisés notamment en 2008 à la demande du Conseil Régional de Marseille pour l’Association des Régions de France. Ce colloque aboutissait au clair engagement des Régions sur ce thème des SSIG.

 

Le collectif a été servi par l’évolution idéologique mondiale qui avec la crise financière s’est accentuée. La deuxième commission Barroso n’a plus les certitudes absolues antérieures et le mythe du Marché pour tout s’est largement effrité.

 

Toujours est-il que le 20 décembre 2011 marque une étape essentielle de la reconnaissance de l’enjeu SSIG : la Commission pourtant chargée d’une image ultra libérale tranche avec les positions qu’avait affichées en France en 2001 la Gauche au pouvoir et elle ouvre la possibilité aux Etats membres de protéger les services sociaux en les affranchissant des contraintes du Marché quand celles-ci sont inappropriées à la réalisation de leur mission.

Nous avons donc gagné. La France socialiste a validé cette option politique.

Aux Etats de définir, chacun pour ce qui le concerne, car ceci n’est pas de la compétence de la Commission, quels sont les secteurs concernés.

Certains textes d’application directe, sans transposition par les Etats sont déjà applicables depuis le 1er janvier 2012. D’autres ont suivi. L’Europe sociale, dont les Etats ne veulent d’ailleurs pas lâcher l’essentiel de la compétence à Bruxelles, avance. Qui l’a fait savoir ?

 

Conclusion

Tout ceci n’interdit pas de penser que les institutions européennes ne sont pas encore majeures, que l’Europe reste un espace libéral et plutôt conservateur, (comme la majorité de ses citoyens), bloqué par les égoïsmes des Etats, incapable des grandes politiques que l’on attendrait d’elle.

 

Mais au lieu de poursuivre le procès du bouc émissaire n’est-il pas temps de constater  que quand les citoyens, la société civile,  s’organisent, se regroupent, pour porter l’action où elle doit être portée au niveau européen, l’Europe est là.  Faut-il dénoncer le lobbying ou faut-il au contraire comme le font de plus en plus de réseaux sociaux portés par internet, créer le rapport de force ? Autrement dit, faut il pleurer sur l’Europe qui ne se fait pas ou faut-il la faire ?

 

Le 21.05.2014 Roland Bourglan

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